AUTRES DOSSIERS PROPOSES (cliquer sur le titre):
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-LIEN VERS VILLE DE REVEL - HISTOIRE DE LA JEUNESSE DE REVEL
-LIENS VERS VOYAGE DE MONSIEUR PAR M. Hebrard
- LIEN VERS HISTOIRE - LES MILICES DE REVEL par Paul Redon
Ecole d'un lustre tout particulier, qui existe encore de nos jours et fidèle à ses traditions, Soréze, dans le Tarn, nous offre un exemple de ce qu’était au XVIII ème siècle l'enseignement « secondaire » aux mains des religieux. Mis à part l’exercice de la danse - qui faisait alors partie de l'éducation -- on pratiquait déjà à Soréze les mêmes disciplines qu`au vingtième siècle, y compris la natation.
En cette année 1777, Monsieur, frère du roi Louis XVI, s'ennuyait fort à Versailles. Non pas que la vie de cour fût particulièrement fastidieuse Monsieur avait une confortable liste civile qu'il dilapidait joyeusement - mais se sachant le personnage le plus proche du trône, il attendait avec une impatience bien dissimulée qu'une occasion fortuite (ou au besoin provoquée) lui permit de ceindre à son tour la couronne royale.
Or il se trouva que Louis XVI ayant besoin d'argent pour soutenir la guerre d'Amérique, songea à réveiller le loyalisme et l'affection de son peuple en organisant à travers la France des tournées, nous dirions aujourd'hui de propagande ; et pour cela fit appel à ses deux frères, le comte de Provence et le comte d'Artois.
Ce dernier, plus occupé d'amourettes que de politique, n'alla pas plus loin qu'Orléans et revint vite à ses distractions préférées. Quant au comte de Provence, il vit aussitôt le profit personnel qu'il pourrait tirer de cette mission et comment il allait l'utiliser au bénéfice de sa propre popularité.
Loin donc de donner dans la légèreté de son frère, il mit au contraire tous ses soins à préparer l'expédition de façon à en assurer l'efficacité.
Pour la circonstance, il se fit faire un habit enrichi de diamants, estimé à deux millions, et afin d'être accompagné d'une suite brillante et nombreuse, il choisit lui-même le personnel qui l'escorterait.
Bien entendu, on allait y compter d'abord Cromot, son homme à tout faire et qui dirigeait de main de maître sa maison; le comte de Modène et le marquis de Montesquiou-Fezensac, tous deux gentilshommes de son entourage en feraient aussi partie ; mais qu'on ne manque pas d'ajouter le comte de la Châtre, gentilhomme d'honneur, le duc de Laval-Montmorency, premier gentilhomme de la chambre, le marquis d'Avaray et le comte de Cresnay, maîtres de la garde-robe, le comte de Ménard, gentilhomme ordinaire et les deux capitaines des gardes : le marquis de Lévis et le comte de Chabrillant.
Chacun de ces messieurs emmenait avec lui valet de chambre et laquais : Cromot se fit en plus accompagner d'un secrétaire. En tout, cinquante-trois personnes, dont trente domestiques.
Et pour transporter tout ce monde, le « train » comprenait quinze carrosses, sans compter les voitures destinées au transport des bagages. Monsieur, on le voit, avait bien fait, princièrement fait les choses.
Monsieur fait maigre
On se mit en route le 10 juin. Après des arrêts à Orléans, Blois, Tours, Bordeaux, on finit par atteindre Toulouse.
Là, le prince quitta son carrosse pour s'embarquer sur le canal du Midi afin « d'en considérer toutes les beautés ». Il y voyagea dessus (ainsi que dans son français pittoresque l'écrit Cailhassou, le curé de Soréze) depuis Toulouse jusqu'à Nauroux (sic), où il débarqua et de là vint, comme le portait son itinéraire, souper et coucher à Saint-Papoul chez Monseigneur l'Evêque. Il y arriva bien avant la nuit après avoir dîné sur le canal, où Monsieur le comte de Caraman avait fait préparer un repas des plus magnifiques et des plus élégants, car, on le savait, Monsieur n'était pas indifférent aux plaisirs de la table...
Le lendemain qui était un lundi 23 juin, le prince monta jusqu'au bassin de Saint-Ferréol, qui sert encore aujourd'hui de réservoir des eaux destinées au Canal du Midi, où il s'arrêta pour dîner avec toute sa suite dans un salon champêtre, dressé encore par les soins du comte de Caraman sur la terrasse des voûtes. En dépit du mauvais temps, une foule énorme de badauds s'en vint pour contempler « l'aimable prince » et savourer le plaisir de le voir se régaler. On ne manqua pas de remarquer que Monsieur, désireux sans doute d'édifier à bon compte ces braves gens, ne voulut pas faire gras, car c'était la vigile de Saint Jean-Baptiste, mais observa exactement l'abstinence des viandes : tant de vertu, on s'en doute, remplit d'admiration ces âmes naïves.
Linceuls et carillon
Dans l'après-midi, la pluie ayant un peu cessé; le cortège descendit à Soréze par le beau chemin « aplani et très praticable pour les voitures », qui, depuis huit jours seulement, reliait Saint-Ferréol au Pont-Crouzet.
Les religieux bénédictins à qui était confiée la direction de la jeune Ecole militaire, avertis que Monseigneur viendrait honorer leur maison de sa présence, crurent ne pouvoir moins faire que de rivaliser de faste avec Saint-Ferréol.
On construisit donc une salle de verdure sur la place de l'église, commune alors aux religieux et à la paroisse, et qui, désaffectée depuis, sert de manège d'équitation couvert. C'est là que Monsieur descendrait de cheval, et à la porte de cette salle on plaça ses armes « de façon que cette salle tout en bois était du meilleur goût et fut trouvée fort belle parce qu'en effet elle était d'un goût tout exquis et d'une symétrie particulière qui faisait une impression des plus favorables à la vue».
Les rues par où devait passer le cortège, c'est-à-dire depuis la porte de Revel jusqu'à l'église paroissiale, furent tapissées de blanc « ce qu'on fit avec des linceuls ». Quant au « carillonneur » il reçut l'ordre de se tenir à la galerie du clocher, afin que, quand il apercevrait le prince venir de loin, il sonnât la cloche pour annoncer son arrivée.
Tous ces préparatifs terminés, vers trois heures et un quart après midi, le cortège parut, à la porte de la ville.
Monsieur, vêtu d'un habit de drap vert à parements rouges, allait en tête, ayant à ses côtés M, le duc de Laval, son premier gentilhomme, M. le marquis de Lévis, cordon bleu, et autres Messieurs distingués et par leur grade et par leur naissance ; il était escorté par une compagnie bourgeoise de dragons de Revel, tous en uniforme, au nombre de cinquante à cheval, très bien harnachés et dans un ordre parfait, qui étaient allés le prendre à Saint-Ferréol.
Tout de suite les magistrats se rendirent à la porte de la ville et là le maire - qui était le frère du curé - harangua le prince ; puis « étant un pied à genoux » lui présenta les clefs « dans un grand plat bassin »: Monsieur les prit et les lui remit tout de suite ; après quoi on le conduisit jusqu'à la place de l'église, où l'attendaient Dom Despaulx, prieur des Bénédictins, avec toute sa communauté, le grand-vicaire de Lavaur, représentant son évêque empêché, Monseigneur l'évêque de Castres et, bien entendu, l'excellent curé Cailhassou qui ne nous a rien laissé ignorer de cette visite historique. Il va de soi qu'il y avait un monde infini sur la place qui fut témoin de cette réception.
Dès que Monsieur fut descendu de cheval, Dom Despaulx s'approcha du prince, lui adressa une belle harangue, puis lui présenta les personnalités qui l'entouraient.
Là-dessus, on l' introduisit dans la maison et on le conduisit dans la grande salle du couvent, au fond du cloître, tandis qu'on laissait deux sentinelles à la porte pour empêcher la foule.
A ce moment vint se présenter un détachement du collège, à la tête duquel était un écolier du nom de Hector de Gignac en Bas-Languedoc « d'une figure des plus aimables, qui fit à Monsieur un compliment des mieux conçus ».
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De là, on conduisit le prince au Collège et, étant entré dans la basse cour (1), il trouva cent huit écoliers sous les armes, rangés en bataille, musique, instruments, tambours en tête, et prêts à faire l'exercice militaire « avec l'appareil le plus exact et le plus pompeux d'un vieux corps ».
L'école bénédictine de Soréze avait accueilli tous ces jeunes gens se destinant à la carrière des armes, qui venaient de la Flèche ou de l'Ecole militaire du Champ de Mars. On projetait en effet de vendre cette dernière.
(1) « Basse cour », c'est-à-dire une cour en contrebas. Le « petit trône » avait manifestement été placé au sommet du perron.
Exercice à la française
« Le premier coup d'œil saisit Son Altesse Royale et fit sur son cœur une sensation des plus agréables, de même que sur toute sa suite, composée d'anciens militaires dans les plus hauts grades.
Monsieur fut conduit sur un petit trône qu'on avait dressé au fond de la basse cour, où il se tint toujours droit pour voir faire l'exercice à cette jeunesse, qui réellement et de fait le fit si bien que moi-même (c'est le curé qui écrit cela - on l'aura vite reconnu à l'emphase et à la prolixité de son style) moi-même étant presque à côté de Monsieur, entendis pendant trois fois les extases et l'admiration qu'il avait de voir si bien manœuvrer cette jeunesse ; il s'informa, moi l'entendant, qui avait si bien dressé ces Messieurs. M. de Laval, duc, M. de Lévis et tous les gens de sa suite étaient comme Son Altesse aux acclamations et furent extrêmement surpris de voir une pareille manœuvre.
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« On fut obligé d’abréger cet exercice parce que le temps que Monsieur devait donner au Collège était très précieux et fort court ; mais il en vit assez pour juger de la bonne éducation qu'on donnait à cette jeunesse du côté militaire ».
Abrégeons, nous aussi, et laissons le brave curé à son verbiage et à ses perpétuels superlatifs. De la « basse cour », on se rendit à la salle de dessin où, parmi les tableaux exposés, Monsieur distingua son propre portrait qu'il daigna trouver ressemblant et, naturellement, félicita le jeune artiste confus de tant d’honneur. Ensuite les élèves furent renvoyés dans leurs classes et le comte de Provence en fit le tour, interrogeant reprenant, rassurant, félicitant, avec une affable bonhomie qui ravit les maîtres autant que les disciples.
Courtisan en herbe
Le prince, en bon latiniste qu'il se piquait d'être, s'attarda dans la classe de latin que régentait Dom Ferlus, et là se passa une petite scène de laquelle Ie héros, dans les notes qu’il rédigea plus tard, ne nous a fait grâce d'aucun détail.
Sur le pupitre du professeur se "trouvait un Horace; Monsieur l'ouvrit au hasard, tomba sur la 14ème ode du livre II : « Eheu fugaces, Postume » et demanda à un élève de la lui traduire.
Le collégien s'exécuta avec la volubilité d'un écolier maître en son sujet ; mais arrivé au 21 ème vers, « Linquenda tellus et domus et placens uxor » il hésite, se trouble et fond en larmes.
Qu’est-ce qui l'arrête ? Pourquoi ces pleurs? Peut-être pour cacher quelque défaillance de la mémoire, le garçon répond qu'à n'ose pas dire au prince qu'il doit mourir un jour. Emotion dans assistance. L'Altesse Royale qui n'était pas insensible à la flatterie, apprécia l’ingénieuse réponse ; elle s’enquit du nom de ce courtisan précoce : « Roques de Montgaillard » lui dit-on.
Alors prenant une tablette des mains du duc de Lévis, tout souriant il, demande : « Voulez vous être mon page? Nous ferons plus ample connaissance » .
Le petit Montgaillard, au comble du bonheur, balbutie quelques mots de reconnaissance émue, tandis que le prince ayant inscrit son nom, disait paternellement : « Dès ce moment, vous êtes à moi, petit page, et je prendrai soin de vous ». Monsieur jouit quelques instants de l'effet produit par ses paroles et, tout en se dirigeant vers la sortie, glissa à l'oreille de Dom Despaulx, mais de façon à être entendu de tous: «En vérité, cet élève est charmant ».
Paris, Versailles ou Sorêze ?
On partit ensuite visiter le cabinet d'histoire naturelle. Dans les collections de minéralogie, le comte de Provence remarqua certaines concrétions pierreuses extraites de la Montagne Noire qui avaient la forme d'un cœur ; d’ un ton enjoué il s'écria ;«Oh! voici des cœurs bien durs ; je ne m'attendais pas à en trouver ici»
Le futur page qui s'était glissé jusqu'à lui, eut l'audace de répliquer : « Monseigneur, ce sont les seuls qui ne s'attendrissent pas en votre présence » .
Le prince sourit, se pencha vers lui, et les yeux humides, l'embrassa au milieu de l'émotion générale.
Après un regard jeté sur la piscine et les installations de gymnastique, Monsieur fut conduit à la salle des fêtes, où il assista à un assaut d'armes, à des danses, puis écouta, ravi, une cantate à grand orchestre exécutée en son honneur :
« Sommes-nous, dit-il à son entourage, à Paris ou à Versailles? » On ne pouvait trouver compliment plus flatteur...
Mais le temps passait le départ ayant été prévu pour six heures, Son Altesse exprima le désir de voir auparavant les élèves à table. Ce n'était pas l’heure du repas ; mais pour des écoliers c'est toujours l'heure de l’appétit on réunit donc six au réfectoire et on leur sert - du moins c'est ce qui fut dit - l'ordinaire du jour : des œufs frits, trois soles et un plat de fraises.
« Allons, Messieurs, dit le comte de Provence, acquittez-vous bien de cet exercice; vous avez si bien fait les autres » et, pour les encourager, il mangea lui-même un morceau: de pain, qu'il trouva excellent.
Vive Monsieur !
Pendant qu'il affectait de regarder avec une curiosité paternelle ces jeunes soupeurs, l'un d'eux, l'élève Bonneval, âgé de onze ans, lança cette réflexion : « A Versailles, on voit manger les princes; à Soréze, les princes nous font l'honneur de nous voir manger; cela est bien étonnant ».
Monsieur trouva aussitôt le geste qui s'imposait: il embrassa l'enfant, tandis que retentissaient les acclamations : «Vive le Roi ! Vive Monsieur ! ».
Cependant l'heure du départ arrivait, le détail du voyage ayant été fixé par une lettre de M. Amelot, secrétaire d'État de la Province, à M. de Saint-Priest, intendant du Languedoc.
Monsieur "ayant très bien dîné à Saint-Ferréol» refusa de toucher à « une collation des plus élégantes » qu'on lui avait préparée ; mais avant de partir il voulut bien témoigner sa satisfaction à Dom Despaulx, l'assura que Sa Majesté serait « exactement informée et instruite des grands avantages que présentait le Collège dans son royaume, de la belle éducation qu'on y donnait et du parfait contentement qu'il en avait d'avoir vu par lui-même tout ce qui en était ».
Le directeur du collège alors le pria d'accepter la dédicace des Exercices prochain, ce qu'il fit avec grand plaisir, ajoutant : « Messieurs, les moments les plus agréables de mon voyage sont ceux que j'ai passés à Soréze. » Ce fut le mot de la fin.
Tous les chevaux étaient prêts à la porte de la maison, « les escadrons de Languedoc rangés en bataille attendaient le prince pour l'escorter à Revel, les trompettes et la symphonie allait son grand train » (sic). Il monta à cheval et fut escorté et par les troupes et par les dragons bourgeois de Revel et par un monde infini.
Il s'en fut coucher à Saint-Papoul, devant être le lendemain à Carcassonne, le surlendemain à Narbonne, le 26 à Béziers, le 27 à Cette le 28 à Montpellier puis à Nismes, pour arriver le 30 en Provence.
Monsieur oublia ses promesses
Ainsi finit la visite de Monsieur, « visite qui a été et qui sera à jamais une époque des plus mémorables et des plus avantageuses pour cette ville et pour le collège ». Du moins c'est ce qu'en jure le curé Cailhassou, et nous aurions mauvaise grâce à ne l'en pas croire.
Toutefois ce récit comporte un épilogue, un épilogue assez piquant. Ces cérémonies terminées le futur page de Monsieur, le jeune Montgaillard se précipita chez ses parents pour leur annoncer l’heureuse nouvelle (1) , ceux-ci se mirent aussitôt à constituer le trousseau, de leur fils, afin qu’il pût être envoyé à Versailles au premier avis.
Ils attendirent un mois, deux mois, six mois, un an... Rien ne vint. Ce n'était qu'une « promesse de Monsieur » et Monsieur n'en avait tant répandu le long de sa route que parce qu’il était résolu à n'en tenir aucune...
(1) I’épisode avait même été relaté par le Courrier d’Avignon, le Mercure et l’Esprit des Journaux (4 juillet 1777) de quoi tourner de moins jeunes têtes!
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